lundi 28 novembre 2011

Jean-Jacques par Frédéric Richaud



Avant de parler du passionnant roman qu'Olivier Marchal a consacré à Jean-Jacques (La Comédie des masques, chez Télémaque) je vous encourage plus que vivement à lire ce court récit tout-à-fait jubilatoire que Frédéric Richaud a consacré à deux frères tellement obsédés par Jean-Jacques Rousseau que cela va les mener jusqu'aux actions les plus extrêmes et les plus cocasses. Il est enfin édité en Livre de Poche, faites-vous le plaisir de le découvrir si vous ne le connaissez pas déjà.


Ce roman a été adapté par Makyo et Bruno Rocco en une bande dessinée très réussie, et éditée chez Delcourt.

dimanche 20 novembre 2011

Lecture des Quatre lettres à monsieur le Président de Malesherbes



Rousseau, selon Sainte-Beuve, « n’a rien écrit de plus beau que les Lettres à Malesherbes ». Ces quatres lettres, datées des 4, 12, 26 et 28 janvier 1762 ont été écrites au sortir d’une crise aiguë et dans des conditions singulières décrites dans le Livre XI des Confessions, et qui se rapportent aux circonstances de l’impression de l’Emile, compliquées du fait qu’une sonde s’étant brisée dans le canal de son urètre, Jean-Jacques s’affole et croit sa dernière heure venue. Il s’est en outre persuadé que les Jésuites vont profiter de sa mort toute proche pour publier sous son nom un texte remanié, contraire à sa pensée, de la Profession de foi du vicaire savoyard, contenue dans l’Emile.

Ainsi sont nées ces lettres, faites pour suppléer aux Mémoires que Jean-Jacques avait projetés, et qui devaient être, selon lui, une sorte de chant du cygne.

J'ai le plaisir de vous les faire entendre à trois reprises les jeudi 1ervendredi 2 et samedi 3 décembre à 20 heures chez Agnès Brabo, rue Saint-Honoré à Paris.

Seules 20 places sont disponibles pour chacune de ces lectures, il est donc absolument indispensable de réserver.

Pour cela, il suffit, comme à l'ordinaire,
de téléphoner au 06 24 56 08 53
ou d'envoyer un courriel à jeanjacquesetmoi@free.fr



Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721 – 1794), Premier Président de la Cour des aides en 1747 et directeur de la librairie, fut le véritable protecteur des hommes de lettres sous le régime de censure de la monarchie française. Son administration fut l’ « âge d’or » des écrivains, selon le mot de Voltaire. Exilé en 1770 pour s’être opposé à la Cour dans l’affaire des parlements, il devait être réintégré dans ses fonctions, lors de l’avènement de Louis XVI en 1774. Défenseur du roi sous la Révolution, il mourut lui-même sur l’échafaud. 

vendredi 18 novembre 2011

Le buste du Musée des Beaux-Arts de Tours... suite


Voilà, le buste en terre cuite de Jean-Jacques, superbement restauré, trône désormais sur la cheminée du non moins superbe salon jaune du Musée des Beaux-Arts de Tours. 

C'est peu dire que sa présence m'a ému, et même réconforté, durant les trois représentations que j'y ai données ces deux dernières semaines.

Je profite de ce message pour rendre un hommage appuyé, et ô combien mérité, à M. Philippe Le Leyzour, conservateur général de ce magnifique musée qu'il a su, avec l'aide de ses collaboratrices, hisser au rang des plus beaux musées de France. 

Philippe Le Leyzour quittera ses fonctions le 31 décembre, et ce moins d'un an avant sa retraite, contraint et forcé par les méthodes pour le moins ingrates et déplaisantes de sa municipalité.

Ce commentaire n'engage que moi mais je suis tout à fait persuadé que bon nombre de personnes, instruites des véritables raisons de ce départ, le partagent.




samedi 29 octobre 2011

Retour au Musée des Beaux-Arts de Tours


Les deux parties du neuvième épisode ainsi que le dixième seront représentés dans le superbe salon jaune du Musée des Beaux-Arts de Tours les lundi 7, mercredi 9 et lundi 14 novembre à 19 heures.

A l'approche du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, le Musée a exhumé de ses réserves ce buste en terre cuite qui est une copie de celui que le sculpteur Houdon tira du moulage du masque mortuaire de l'écrivain et qui fut exposé au salon de 1779. Ce buste est actuellement restauré et sera exposé prochainement dans le même salon jaune où auront lieu les représentations.

Pour réserver, appeler le 02 47 05 68 73


lundi 10 octobre 2011

Ze Mag'zine


Jean-Jacques et son interprète célébrés dans un très bel article signé Philippe Dayan et lisible ci-dessous : 





mardi 4 octobre 2011

Résumé du dixième épisode (1758 - 1759) + index des personnes citées + lexique



L’infirmité dont souffre Jean-Jacques (rétention d’urine) assombrit encore cette période marquée par la rupture avec Mme d’Epinay et les Philosophes, puis avec Mme d’Houdetot. Il publie la Lettre à d’Alembert contre l’institution d’un théâtre à Genève, et commence une correspondance avec Malesherbes, directeur de la Librairie, dont la protection lui permettra de faire imprimer l’Emile et le Contrat social. Il se partage entre le Mont-Louis et le château de Montmorency où l’invite, sans pouvoir l’y fixer, le maréchal de Luxembourg.
Jacques Voisine
Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau

Les représentations du dixième épisode ont débuté le 6 octobre 2011


INDEX DES PERSONNES CITÉES DANS CET ÉPISODE


Anne-Charlotte Simonette de Houdetot, sœur du comte de Houdetot, avait épousé en 1740 Nicolas-Charles Dubuisson, marquis de Blainville, lieutenant-colonel d’infanterie. 

Ange-Laurent Lalive de Jully (1727 – 1775), frère de monsieur d’Epinay, peintre et collectionneur, fut nommé introducteur des ambassadeurs en 1757. 

Aucun renseignement sur M. Ferrand & M. Minard, surnommés par Thérèse : les Commères, n’a été trouvé. 

François Coindet (1734 – 1809), commis puis caissier de la banque Thellusson, s’occupa en 1760 de faire graver les estampes de la Nouvelle Héloïse. Il entretint avec Jean-Jacques une correspondance qui dura dix ans et ne cessa que lors du séjour de Trye, lorsque ce dernier rompit avec tous ses amis. 

Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721 – 1794), Premier Président de la Cour des aides en 1747 et directeur de la librairie, fut le véritable protecteur des hommes de lettres sous le régime de censure de la monarchie française. Son administration fut l’ « âge d’or » des écrivains, selon le mot de Voltaire. Exilé en 1770 pour s’être opposé à la Cour dans l’affaire des parlements, il devait être réintégré dans ses fonctions, lors de l’avènement de Louis XVI en 1774. Défenseur du roi sous la Révolution, il mourut lui-même sur l’échafaud. 

Charles-François-Frédéric de Montmorency, duc de Luxembourg (1702 – 1764) avait reçu le bâton de maréchal de France en 1757, après s’être distingué dans de nombreuses batailles. 

Madeleine-Angélique de Villeroy (1707 – 1787), veuve en première noces du duc de Boufflers, avait épousé en secondes noces, en 1750, le maréchal de Luxembourg, veuf lui-même de Marie-Sophie Colbert de Seignelay. 

Marie-Madeleine de Brémond d’Ars (1728 – 1810) avait épousé à 22 ans un de ses parents, le marquis Bernard de Verdelin, colonel d’infanterie, alors âgé de 64 ans. 

Maurice Quentin Delatour, plus communément appelé Quentin de La Tour, né le 5 septembre 1704 à Saint-Quentin, décédé le 17 février 1788 dans la même ville, est un peintre pastelliste français, à ne pas confondre avec Georges de La Tour, peintre du siècle précédent. 

Jean Neaulme (27 juin 1694 – 5 janvier 1780), partagea son activité de libraire entre Amsterdam, La Haye, Leyde et Berlin et se retira des affaires en 1763. 

Amélie de Boufflers, née le 5 mai 1751, était fille du duc de Boufflers, fils du premier lit de la maréchale. 

Madame la Princesse de Robeck, fille du premier mariage de M. de Luxembourg, mourut le 4 juillet 1760. 

Charles Palissot de Montenoy, né à Nancy le 3 janvier 1730 et mort à Paris le 15 juin 1814, est un auteur dramatique français connu comme opposant au parti philosophique et, plus particulièrement, comme ennemi de Diderot. Il est notamment l'auteur d'une comédie, Les Philosophes, qui eut un énorme succès de scandale en 1760. 

Nicolas-Bonaventure Duchesne (1712 – 1765), libraire à Paris, rue Saint-Jacques, à l’enseigne du Temple du goût. 

Nicolas-Charles Joseph Trublet (1690 – 1770) 

Jean-Henri Samuel Formey (1711 – 1797), secrétaire perpétuel de l’Académie de Berlin et rédacteur de nombreuses revues, protégé par Frédéric II. 

Louis-François de Bourbon, prince de Conti (1717 – 1776), avait commandé l’armée d’Allemagne, puis l’armée du Piémont pendant la guerre de succession d’Autriche et s’était révélé un grand capitaine. Il abandonna l’armée en 1747 et joua le rôle de conseiller secret de Louis XV en politique étrangère, jusqu’au jour où Madame de Pompadour obtint sa disgrâce et sa retraite définitive, en juin 1756. Il ne devait réapparaître sur la scène politique que beaucoup plus tard et contribuer à la chute du chancelier de Maupeou en 1770. Le prince de Conti est le premier prince du sang qui mourut sans demander les sacrements. Dutens, cité par Sainte-Beuve, dit de lui : « … il était le premier à bannir toute contrainte… Il ne faisait point de distinction de rang dans la société… » 

Le Chevalier de Lorenzy, gentilhomme florentin de la cour du Prince de Conti.



Lexique du dixième épisode

l’incomodité nouvelle d’une descente : nom vulgaire de la hernie. 

je vivois à quatre lieues de Paris, aussi séparé de cette capitale par mon incurie : par ma négligence. 

… que je l’aurois été par les mers dans l’Ile de Tinian : île de l’archipel des Mariannes, en Micronésie, visitée par l’amiral Anson en 1742. 

Je m’avisai d’inserer par forme de note dans mon ouvrage un passage du Livre de l’Ecclesiastique qui déclaroit cette rupture : L’Ecclésiastique, XXII, v. 26-27 : « Si tu as tiré l’épée contre ton ami, ne désespère pas, car, il y a moyen de revenir. Si tu l’as attristé par tes paroles, ne crains rien; une réconciliation est possible. Mais pour l’outrage, le reproche injurieux, la révélation du secret et la blessure faite en trahison, l’ami s’éloignera sans retour. » 

Après avoir fait depuis un an la nouvelle de Paris : nous dirions aujourdhui : défrayer la chronique, alimenter les potins de la ville. 

et sa belle-sœur dans nos promenades solitaires l’avoit souvent laissé s’ennuyer à garder le mulet : attendre longtemps quelqu’un avec ennui et impatience. L’expression relève du burlesque. 

C’étoient des enfans de Melchisedec : personnage donné dans l’Ecriture comme l’image du Messie, sans que soient indiqués ni son origine ni le temps de sa mort. Le fait que Jean-Jacques ne connaisse « ni le pays ni la famille ni probablement le vrai nom » de ses voisins explique qu’il ait employé cette expression. 

il me les envoyoit franches aussi sous le contre-seing de M. le Chancelier son père : signature de celui qui contre-signe. 

Ces dépenses sont inévitables pour un homme de mon humeur qui ne sait se pourvoir de rien ni s’ingenier sur rien : nous dirions aujourd’hui : se tirer d’affaire, se débrouiller. 

Pour lors il n’y eut plus moyen de m’en dédire : se dit figurément d’un homme trop engagé dans une affaire pour ne pas la pousser à bout. 

les continuels soucis non moins importuns qu’officieux : ce mot prend ici, sous la plume de Jean-Jacques, une nuance péjorative et signifie : « qui provient d’un zèle déplacé », alors qu’il est employé ordinairement comme un synonyme de serviable. 

Je m’avisai d’un supplément pour me sauver auprès d’elle l’embarras de parler : d’un moyen de suppléer à mon embarras de parler. 

Je compris bien, quoiqu’en put dire Trublet, que Formey n’avoit point trouvé cette lettre imprimée, et que la prémiére impression en venoit de lui : Formey avait bel et bien tiré cette lettre d’une petite brochure de 60 pages prétendument imprimée à Berlin, mais en fait par les frères Cramer à Genève. Or les frères Cramer étaient les éditeurs habituels de Voltaire… 

à moi votre disciple et vôtre enthousiaste : votre partisan fanatique, celui qui vous rêverait comme Dieu. 

la rusticité d’un mal-appris qui se méconnoit : se méconnaître, c’est oublier ce qu’on doit à quelqu’un qui est au-dessus de vous.


Mont-Louis


La petite maison de Mont-Louis, où Jean-Jacques et Thérèse vont vivre de 1757 à 1762, après leur départ de l'Ermitage, inspirera particulièrement Jean-Jacques puisqu'il y écrira quelques unes des pièces maîtresses de son oeuvre.

Cette maison, transformée depuis le 18ème siècle, abrite aujourd'hui le musée Jean-Jacques Rousseau, dont vous trouverez les coordonnées ci-dessous.


4, rue du Mont-Louis à Montmorency (95)
01 39 64 80 13


mardi 6 septembre 2011

Les Français vus par Jean-Jacques...


Comme je l'ai déjà dit et écrit, dans mon travail d'adaptation pour la scène du texte des Confessions, il m'est arrivé bien de fois de couper à regret des passages que j'aurais sans doute pris grand plaisir à dire à mes auditeurs. Celui qui suit fait partie de ceux-là. Je le trouve si singulièrement juste, et encore une fois le jugement de Jean-Jacques est si pertinent - j'ai pu le constater par moi-même bien des fois ces dernières années -, que j'envisage sérieusement de le réintégrer dans mon adaptation du 4ème livre...


" Il faut pourtant rendre justice aux François; ils ne s’épuisent point tant qu’on dit en protestations, et celles qu’ils font sont presque toujours sincéres; mais ils ont une maniére de paroitre s’intéresser à vous qui trompe plus que des paroles. Les gros complimens des Suisses n’en peuvent imposer qu’à des sots. Les maniéres des François sont plus séduisantes en cela même qu’elles sont plus simples; on croiroit qu’ils ne vous disent pas tout ce qu’ils veulent faire, pour vous surprendre plus agréablement. Je dirai plus; ils ne sont point faux dans leurs démonstrations; ils sont naturellement officieux, humains, bienveillans, et même, quoiqu’on en dise, plus vrais qu’aucune autre nation; mais ils sont légers et volages. Ils ont en effet le sentiment qu’ils vous témoignent; mais ce sentiment s’en va comme il est venu. En vous parlant ils sont pleins de vous; ne vous voyent-ils plus, ils vous oublient. Rien n’est permanent dans leur cœur: tout est chez eux l’œuvre du moment. "

Les Confessions, Livre IV

Lecture de Molière (1728), de Jean-François de Troy (collection privée)

mardi 30 août 2011

Calendrier des représentations


Livre premier (1712 – 1728)

Création le 8 février 2007 à Paris

Livre deuxième (1728)
Création le 4 octobre 2007 à Paris

Livre troisième (1728 – 1730)
Création le 13 mars 2008 à Paris

Livre quatrième (1730 – 1731)
Création le 2 octobre 2008 à Paris

Livre cinquième (1732 – 1736)
Création le 12 mars 2009 à Paris

Livre sixième (1737 – 1740)
Création le 8 octobre 2009 à Paris

Livre septième (1741 – 1747)
Création le 11 mars 2010 à Paris

Livre huitième (1748 – 1755)
Création le 7 octobre 2010 à Paris

Livre neuvième (1756 – 1757)
Création le 10 mars 2011 à Paris, pour la première partie
Création le 28 avril 2011 à Paris, pour la seconde partie

Livre dixième (1758 – 1759)
Création le 6 octobre 2011 à Paris

Livre onzième (1760 – 1762)
Création le 8 mars 2012 à Paris

Livre douzième (1762 – 1765)
Création le 28 Juin 2012 à Paris

Jean-Jacques à l'écran... suite.


Comme je vous l'ai annoncé il y a quelques semaines, l'intégralité des douze épisodes de Jean-Jacques doit être porté à l'écran, mais les premiers essais, effectués en juin, ne furent pas concluants, à mon humble avis.

En effet, le seul intérêt que je peux trouver à la captation d'un spectacle est sa valeur de document, mais il est indéniable qu'il perd souvent beaucoup de sa puissance lorsqu'il est filmé. Cela l'est d'autant plus pour ce spectacle-ci, qui doit être entièrement repensé pour la caméra, ce qui demande un travail considérable auquel je ne peux me consacrer pour le moment.

Ce projet est donc remis à plus tard, c'est-à-dire à au moins un an, lorsque les douze épisodes seront prêts.

En attendant, je vous offre ci-dessous une photo issue de ces premiers essais et qui est signée Jean-Michel Humeau, chef opérateur de son état, et qui sait indéniablement faire de belles images.

A suivre, donc.

Sophie

Je souhaitais rendre, dans ces colonnes, un digne hommage à Sophie d’Houdetot. Les textes suivants issus des Souvenirs de Elisabeth Vigée-Lebrun, publiés aux éditions Des Femmes, et que je remercie Florence Barthélémy de m’avoir fait découvrir, me le permettent.

**********

Elisabeth Vigée-Lebrun commença sa carrière à quinze ans, vers 1770. Portraitiste magnifiquement douée, elle fut contrainte à l’exil pendant la révolution française. Elle voyagea alors dans tous les pays d’Europe et peignit, comme elle en eut toujours le goût, des femmes dont elle sut chaque fois percevoir la beauté.

La Comtesse d'Houdetot

J’ai connu la comtesse d’Houdetot longtemps avant la révolution; elle s’entourait alors de tout ce qu’il y avait à Paris d’hommes d’esprit et d’artistes célèbres. Comme j’avais un grand désir de la voir, madame de Verdun, mon amie, qui la connaissait intimement, me conduisit à Sannois, où madame d’Houdetot avait une maison, et me fit inviter à passer la journée. Je savais qu’elle n’était point jolie, mais d’après la passion qu’elle avait inspirée à Jean-Jacques Rousseau, je pensais au moins lui trouver un visage agréable; je fus donc bien désappointée en la voyant si laide, qu’aussitôt son roman s’effaça de mon imagination ; elle louchait d’une telle manière, qu’il était impossible, lorsqu’elle vous parlait, de deviner si c’était à vous que s’adressaient ces paroles; à dîner, je croyais toujours qu’elle offrait à une autre personne ce qu’elle m’offrait, tant son regard était équivoque; il faut dire toutefois que son aimable esprit pouvait faire oublier sa laideur. Madame d’Houdetot était bonne, indulgente, chérie avec raison de tous ceux qui la connaissaient, et, comme je l’ai toujours trouvée digne d’inspirer les sentiments les plus tendres, j’ai fini par croire, après tout, qu’elle a pu inspirer de l’amour.



Notes biographiques

Madame d’Houdetot est restée le plus aimable type de la société française du dix-huitième siècle ; elle en est la vive et gracieuse expression; toute française par l’esprit, le cœur et les grâces cavalières, légère dans son allure, mais fidèle à ses sentiments, comme le constate Jean-Jacques Rousseau en soupirant.

« Ce n’est pas quelques pages, c’est un volume qu’il faudrait lui consacrer », dit fort bien M. Paul Boiteau, dans l’appendice de son excellente édition des Mémoires de madame d’Epinay, où il est si souvent question de madame d’Houdetot. « Elle fut si bonne, si simple, si vraie, si douce, si décente, et elle a laissé de si jolis mots pleins de cœur, et de si jolis vers pleins de simplicité et de grâce !

« Sa vie fut longue et constamment heureuse. Laclos a dit d’elle, lui qui n’était pas toujours indulgent : « Madame d’Houdetot vécut avec des athées, avec des dévots, avec des prudes, avec des étourdis, et vécut avec tous sans leur sacrifier rien de son caractère primitif : ils n’eurent pas également à s’en louer; aucun n’eut à s’en plaindre. » De toutes les compagnies, et du plus grand monde, même du monde de la cour, madame d’Houdetot, l’amie de la reine, Marie Leczinska, de Necker, du maréchal de Bauveau, n’eut pas à gémir lorsque l’ancienne société disparut. Elle jugeait les événements et les hommes avec cette sérénité qui est le fond de la vraie philosophie, et on lui en savait gré. Qui, d’ailleurs, après 1789, eût osé toucher au bonheur de celle que Jean-Jacques avait uniquement aimée ?

« Sur la fin de sa vie, madame d’Houdetot parlait de Rousseau sans détour et avec une juste amitié. Elle déclarait que Grimm avait eu de grands torts envers lui. Son buste et celui de Saint-Lambert étaient dans son jardin de Sannois, et elle disait : « Ce sont des amis dont je conserve le souvenir. » Saint-Lambert qui était devenu rigoureux pour Rousseau, ne put jamais l’engager contre sa mémoire dans la querelle des philosophes, et ce qu’elle en pensait de plus sévère, c’est qu’elle écrivit de sa main sur l’exemplaire de la Nouvelle Héloïse que Jean-Jacques copia pour elle.

« Ce manuscrit, dit-elle, fut pour moi le gage de l’attachement d’un homme célèbre; son triste caractère empoisonna sa vie, mais la postérité n’oubliera jamais ses talents. S’il eut l’art, trop dangereux peut-être, d’excuser aux yeux de la vertu les fautes d’une âme passionnée, n’oublions pas qu’il voulut surtout apprendre à s’en relever, et qu’il chercha constamment à nous faire aimer cette vertu, qu’il n’est peut-être pas donné à la faible humanité de suivre toujours. »

« Madame d’Epinay nous ferait croire que M. d’Houdetot ne rendait pas sa femme heureuse, mais ce serait une erreur. Il lui laissait toute sa liberté, et, dans leurs vieux jours surtout, il témoigna souvent le regret de n’avoir pas eu le droit de prétendre occuper tout son cœur. En 1793 (l’année où mourait la femme que, de son côté, il aimait depuis plus de quarante-cinq ans), il faisait toutes les boutiques de Paris, un jour de disette et d’émeute, afin de trouver de la poudre pour les cheveux de madame d’Houdetot, qui, alors encore (elle avait soixante-cinq ans) étaient admirables. C’était, dit-on, un beau vieillard à cette époque. Il ne mourut qu’en 1806, ayant jusqu’au bout respecté la liaison de sa femme et de Saint-Lambert, qui paraissait être le véritable maître de la maison, et qui, surtout à la fin, se permettait seul d’être jaloux. On raconte à ce propos que, lorsque M. et Madame d’Houdetot célébrèrent la cinquantième année de leur mariage, l’apoplectique Saint-Lambert fit une scène fort inattendue. Madame d’Houdetot était, du reste, aux petits soins pour lui, et jusqu’à en paraître ridicule. On se retirait chez elle à dix heures, lorsqu’on était à la campagne; mais elle restait jusqu’à minuit à jouer au loto avec Saint-Lambert. L’heureux homme qui, pendant plus de cinquante ans, fut le maître absolu d’une telle âme ! Ce n’était pas au moins faute d’esprit qu’elle s’assujettissait de la sorte, ni par un sentiment d’admiration excessive pour le poète, car elle a fait peut-être plus de vers à rappeler que Saint-Lambert. Lors de sa dernière maladie, Saint-Lambert lui disait : « Mourons ensemble. – Vivons ensemble », répondait-elle. Et M. d’Houdetot, au spectacle d’une amitié si constante, ne pouvait s’empêcher de dire : « Ah ! nous aurions été bien heureux ! »

« Il avait commencé, en effet, par être joueur, mais un jour qu’il revint, ayant perdu une si grosse somme qu’il lui fallut recourir à la dot de sa femme, elle lui fit jurer de ne plus jouer, et il ne joua plus jamais. C’était donc, à n’en pas douter, un honnête homme. Il n’était pas non plus si ladre, et quand madame d’Epinay, Francueil et toute la compagnie en 1751, vinrent faire à sa terre de la Meilleraye la visite qui rendit madame d’Epinay si malheureuse, il y eut dans ses bois une promenade aux flambeaux dont on garda longtemps le souvenir, et qui parut quelque chose de royal.

« Ce Saint-Lambert, dit quelque part madame Du Deffand, est un esprit froid, fade et faux; il croit regorger d’idées, et c’est la stérilité même. Sans les roseaux, les ruisseaux, les ormeaux, il aurait bien peu de choses à dire »

« Il y a du vrai dans cette boutade, mais il était élégant, mais il aimait la nature, sans savoir bien la chanter, et, tout en vivant dans les cercles les plus raffinés, c’était par le sentiment des grandes pensées naturelles qu’il s’était longtemps senti de l’affection pour Rousseau. Parfait honnête homme, en outre, il n’avait pas deux morales ou deux justices, comme Grimm et tant d’autres. C’est l’ensemble de ces qualités que madame d’Houdetot aima en lui si fidèlement. Reçu à l’Académie française en 1770, il venait d’être, en 1803, appelé dans la classe de l’Institut qui la remplaçait lorsque, le 9 février de cette année, il mourut dans les bras de son amie.

« La mort de madame d’Houdetot fut plus douce encore. Toute sa famille l’entourait lorsqu’elle ferma les yeux, la tête libre, et achevant de parler du plaisir qu’elle avait senti à vivre, comme une élève de Platon. Elle expira le jeudi 28 janvier 1813.

« Elle avait trouvé pour ses tous derniers jours un ami selon son cœur qui remplaça Saint-Lambert, M. d’Houdetot et tous les amis disparus. C’est M. de Sommariva, l’ancien vice-président de la République cisalpine, qui, jeune encore, vint, au commencement de l’Empire, vivre à Paris et y dépenser dans la grande culture et en collection d’œuvres d’art une des plus belles fortunes de l’époque. M. de Sommariva possédait, avec les terres de M. de Bellegarde, les plus précieux souvenirs de la famille, et c’est le culte des souvenirs qui fit que madame d’Houdetot aima si tendrement le dernier venu. Elle écrivit dans son testament : « J’ordonne que mon cœur soit mis à part et porté dans le tombeau de mon père et de ma mère, à Epinay. » Mais ce tombeau se trouvait dans la chapelle domestique du château, et depuis 1789 la loi défendait les inhumations ailleurs que dans le terrain public. Le cœur de madame d’Houdetot fut donc mis dans le cimetière d’Epinay. »

Portrait de M. R***, sous le nom d’Iphis


Ce portrait, publié dans le fascicule d’avril 1756 du Mercure de France, est anonyme mais il est presque certain que Mme d’Epinay en est l’auteur… Il faut bien entendu reconnaître Jean-Jacques sous ce pseudonyme.

« Quoique les traits du visage d’Iphis ne forment pas ce qu’on appelle un bel homme, il a néanmoins beaucoup d’agrément dans la physionomie, surtout lorsqu’il est animé par quelque doux sentiment. Son âme passe alors dans ses yeux et fait disparaître l’air froid, et même un peu sombre qu’il a naturellement. Son teint est brun, ses sourcils et ses cheveux noirs, sa bouche, ni grande ni petite, est très bien bordée et d’un très beau coloris. Ses dents sont assez belles ; sa voix est touchante… Iphis est d’une taille au dessus du médiocre, assez fournie; mais il n’en tire pas tout l’avantage qu’il pourrait s’en promettre. Il se voûte un peu et laisse aller sa personne, sans songer comme tant d’autres à se donner un air de représentation… Iphis est dans cet âge heureux qu’il serait à souhaiter qu’on pût fixer, où les charmes de la jeunesse s’unissent, pour ainsi dire, avec les qualités solides de la maturité… Sa conversation est très amusante quand il est à son aise ; il peint les gens d’une manière fort plaisante et dit de très bonnes choses sans y rêver. Mais en grande compagnie, une honnête et modeste retenue, que les impudents nomment sottise ou mauvaise honte, cache la meilleure partie de son esprit et de ses connaissances. Ce beau nom, ce nom sacré d’ami {…} est pris et révéré par {lui} dans toute son étendue. Son goût le porte vers les femmes, mais c’est un goût épuré qui lui fait moins désirer de jouir que souhaiter être aimé. »


Quant à ce magnifique portrait de Mme d’Epinay, qu’on peut admirer au Musée d’Art et d’Histoire de Genève, il est l’œuvre de Jean-Etienne Liotard.

lundi 29 août 2011

28 juin... 2011


C'était un soir du mois de juin... Il régnait une chaleur tropicale sur Genève et j'étais invité par l'Espace Rousseau à donner les deux premiers épisodes de Jean-Jacques. Les conditions furent difficiles, avouons-le, mais le public genevois, d'une rare générosité, a su me les faire oublier. J'espère que nous nous retrouverons, comme il en est question, l'an prochain pour une intégrale dont je me réjouis déjà.


Cette photo, rare témoignage de ma présence dans ces lieux,
est l'oeuvre d'Agnès Brabo,
qui a veillé sur moi tout au long de cette soirée,
comme elle le fait sans relâche depuis déjà cinq saisons.
Grand merci !

mardi 14 juin 2011

Genève !


J'ai le grand honneur d'être invité à Genève le 28 juin prochain pour y représenter les deux premiers épisodes de Jean-Jacques.

Ces deux représentations auront lieu à l'Espace Rousseau sis au 40 de la Grand'Rue, dans la maison même où Jean-Jacques vit le jour.

Pour plus d'informations : www.espace-rousseau.ch







vendredi 18 mars 2011

Jean-Jacques à l'écran...


Malgré toutes mes résistances, Jean-Jacques va être intégralement filmé, et très bien filmé, puisque nous sommes entre les mains de grands professionnels du 7ème art dont la liste des collaborations est si prestigieuse que je rougis d'aise d'y voir ajouter mon nom.

A suivre...

samedi 29 janvier 2011

Résumé du neuvième épisode (1756 – 1757) + index des personnes citées et lexique




Les Confessions prennent un ton nouveau dans ce livre et le suivant du fait de la reproduction de nombreuses lettres des années 1756 à 1760. Dans la solitude de l’Ermitage, qui lui vaut les critiques de ses amis les philosophes, Jean-Jacques travaille à plusieurs ouvrages dont La Nouvelle Héloïse. Aux souvenirs de jeunesse qui sont à l’origine de ce roman d’amour s’associe une passion pour Sophie d’Houdetot, laquelle par son amant Saint-Lambert est liée au cercle de Mme d’Epinay, Grimm et Diderot. Blâmé pour sa misanthropie prétendue, et accusé de trahison envers son ami Saint-Lambert, Jean-Jacques finit par quitter l’Ermitage et loue, à Montmorency, la maison du petit Montlouis appartenant à M. Mathas, procureur fiscal du prince de Condé.

Jacques Voisine
Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau


L'exceptionnelle longueur de ce livre a nécessité
qu'il soit représenté en deux parties.
Les représentations de la première ont débuté le 10 mars 2011,
celle de la seconde le 28 avril 2011

INDEX DES PERSONNES CITÉES DANS CET ÉPISODE

Théodore Tronchin (1709 – 1781), un des plus illustres médecins de son temps, s’était établi à Genève six mois avant l’arrivée de Voltaire, et devint son médecin attitré. Appelé à inoculer les enfants du duc d’Orléans, il se rendit à Paris en 1756, devint associé de l’Académie des Sciences et fut nommé premier médecin du duc d’Orléans.

Claude-Constant-César, comte d’Houdetot, né à Paris le 5 août 1724, entré dans les mousquetaires à l’âge de 14 ans, avait été nommé capitaine-lieutenant de la compagnie des Gendarmes de Berry le 1er janvier 1748, soit trois semaines avant son mariage avec Sophie de La Live de Bellegarde.

Jean-François, marquis de Saint-Lambert (1716 – 1803), entré tout jeune dans les gardes du roi Stanislas à Nancy, avait pris part à de nombreux sièges et batailles et fut blessé à Coni en 1744. Il supplanta Voltaire dans le cœur de Mme du Châtelet, laquelle mourut en donnant le jour à un enfant, ce qui valut à l’amant une sorte de célébrité. Grâce à des protections, il obtint un brevet de colonel dans l’armée française, mais une attaque de paralysie devait l’obliger à troquer la carrière des armes contre celle des lettres. Son meilleur ouvrage, le poème des Saisons, lui ouvrit , en 1770, les portes de l’Académie française. C’est en 1751 qu’il s’était lié avec Madame d’Houdetot.

Françoise d’Issembourg d’Apponcourt, née le 13 février 1695, épouse d’un homme grossier et brutal, Hugues de Graffigny, dont elle dut se séparer, débuta, à plus de 50 ans, dans la carrière des lettres par une Nouvelle espagnole qui fut critiquée, mais bientôt suivie (en 1747) de Lettres péruviennes qui remportèrent un grand succès. Elle publia encore des pièces de théâtre et mourut à Paris le 12 décembre 1758, en partie du chagrin qui lui causa l’échec de sa dernière pièce.

Charlotte-Suzanne d’Aine, seconde madame d’Holbach, était une sœur de la première.

Jacques-Joseph Mathas, procureur fiscal près le tribunal de baillage de Montmorency depuis 1733.


Lexique du neuvième épisode

aux grandes huées de la cotterie Holbachique : du cercle du baron d’Holbach.

la profession de foi de cette même Héloise mourante est exactement la même que celle du Vicaire Savoyard : la Profession de foi du Vicaire savoyard est un des textes marquants d’Emile.

tout ce qu’il y a de hardi dans l’Emile étoit auparavant dans la Julie : dans la Nouvelle Héloïse, dont le titre exact est : Julie ou la nouvelle Héloïse.

C’étoit mon Dictionnaire de musique : à l’origine, les articles commandés à Rousseau pour l’Encyclopédie, articles écrits à la hâte, en trois mois, au commencement de 1749.

Cette femme possedoit au suprème degré l’art de tirer d’un sac dix moutures : on dit d’ordinaire : tirer d’un sac deux moutures, c’est-à-dire prendre double profit d’une même affaire, se faire payer deux fois d’une même chose.

Je ne voyois par tout que les deux charmantes amies, que leur ami, leurs entours : leur entourage, leurs liaisons.

mais qui fait à l’histoire de mon caractére par l’impression qu’elle fit sur moi : dans le sens de contribuer à.

et quand j’appris l’attentat d’un forcené : l’attentat de Damiens sur la personne de Louis XV, le 4 janvier 1757.

mon cœur et mes sens lui payerent bien l’arrérage : ce qui est échu d’une rente, d’une redevance.

je ne crois pas qu’il me soit jamais arrivé de faire ce trajet impunément : c’est-à-dire à ne pas céder à la tentation de la masturbation, difficulté à laquelle Jean-Jacques faisait déjà allusion dans le Livre V.

Madame d’Epinay (…) poussa plusieurs fois l’audace jusqu’à chercher dans sa bavette : un tablier à bavette est un tablier à plastron qui remonte jusqu’au haut de la poitrine. On pouvait donc y cacher une lettre.

Je n’eus pas à soutenir la prise que j’avois redoutée : la querelle. Le terme a veilli, on le retrouve dans l’expression « une prise de bec » : une querelle de paroles.

… au sujet de sa piéce que (…) on l’accusoit d’avoir prise en entier de Goldoni : Accusé d’avoir copié Le Véritable Ami de Goldoni, Diderot s’en est défendu dans son Discours sur la poésie dramatique paru à la suite du Père de famille.

Aussi fat qu’il étoit vain, avec ses gros yeux troubles et sa figure dégingandée : il s’agit ici de son corps, de son aspect extérieur, plus que de son visage.

ma raison fit taire enfin mon ancienne prévention : ici, préjugé favorable.

une lettre très adroite, qu’ils avoient minutée ensemble : dresser le premier écrit de quelque chose qu’on veut ensuite mettre au net.

Ce secret qui n’en étoit un dans toute la maison que pour moi : Attaque de phtisie ou grossesse illégitime, due cette fois aux œuvres de Grimm ? La seconde hypothèse paraît la plus probable, quand on sait qu’un « accident » arriva à Madame d’Epinay sur la route de Genève…

Cette lettre où faute de pouvoir dire nettement mes raisons, je fus forcé de battre souvent la campagne : s’éloigner du sujet par des digressions fréquentes, chercher des faux-fuyants.

Je ne pouvois mieux la disculper du soupçon de conniver avec moi : comploter, agir de connivence.

l’absent infortuné se néglige : l’absent est négligé, on n’a pas pour lui l’attention, la considération qu’il faudrait.

J’ai voulu quitter l’Hermitage, et je le devois. Mais on prétend qu’il faut que j’y reste jusqu’au printems : en l’occurrence, madame d’Houdetot.

Je l’éclairai sur beaucoup de faits qu’on lui avoit tus, déguisés ou supposés : alléguer comme vrai quelque chose de faux.