mercredi 3 décembre 2008

Les spectateurs ont la parole


A la fin de cette année, Jean-Jacques comptera soixante-quatre représentations.

Si vous faites partie des personnes ayant assisté à l'une, ou plusieurs, d'entre elles, et que vous souhaitez laisser un commentaire sur ce spectacle, vous pouvez le faire ici-même.

Ce commentaire sera ensuite publié sur ce blog.

Merci à vous.


En voici déjà trois, et j'en remercie leurs auteurs :


William Della Rocca devient devant nos yeux ébahis Jean-Jacques Rousseau en personne. Cet artiste inspiré a su rendre actuel et intense un propos à priori désuet et dire d'une voix à la fois douce et forte des confessions qui deviennent confidences.
Wagner disait que "la musique commence là où le pouvoir des mots s'arrête", mais avec William Della Rocca, le pouvoir des mots n'a pas de limites.

Corinne Baylac


Cher William, que ce projet immense me ravit et me remplit de joie ! Tu es un grand comédien et un grand artiste. Je suis bien sûr impatient d'assister à la suite des Confessions au P'tit Saint-Hono, un rendez-vous que j'attends toujours avec un plaisir immense, et j'espère vraiment qu'un jour, le public privé du théâtre en appartement pourra aller t'applaudir sur une grande scène de théâtre.
Rencontrer Rousseau, que je ne connaissais pas, à travers toi, me grandit et me fait me rencontrer ! Tu me donnes envie de le lire. Bonne route à monsieur Della Rocca jusqu'en 2012 avec Rousseau et encore plus loin dans le temps d'autres personnages à créer.

Sylvain Savard


Après la soirée de dimanche et en hommage à votre prestation, William della Rocca, bonjour.
J'étais l'autre soir, non au Théâtre français, mais dans un salon français du XXI° siècle...
L'auteur y avait un certain succès... c'était Rousseau !
Rousseau ou della Rocca ? On pourrait se poser la question après avoir lu - soigneusement - votre programme.
5 ans (sans compter la préparation) en compagnie du grand homme... à en manger, en respirer, (ou transpirer... ?? ... j'oserais même aller plus loin si je vous connaissais depuis plus longtemps), c'est une course de fond ! une épreuve olympique, en quelque sorte...
En tant que collègue (comédienne et lectrice) j'admire, en plus de la performance ponctuelle, celle de la durée.
Tenir... cela n'a rien à voir avec le talent. Cela relève d'une autre veine.. mais toujours matière précieuse. Rare aujourd'hui et je tenais à vous remercier de nous en faire partager le bénéfice.
Je vous souhaite de continuer sur votre lancée, toujours avec la même rigueur et le même succès.
Cordialement.

Christiane Moinet

lundi 20 octobre 2008

L'homme livre


Voici ci-dessous un texte que m'a adressé M. Hervé de Tonquédec, après avoir assisté fin septembre à une représentation du deuxième épisode de Jean-Jacques, texte qu'il m'a aimablement autorisé à reproduire sur ce blog... Qu'il en soit remercié.

L'HOMME-LIVRE


Le philosophe pessimiste avec qui je causais me dit, tout à trac :

« Hier, j’ai rencontré un homme-livre. »

Devant mon étonnement, il me tendit quelques feuillets en m’expliquant que je comprendrais après les avoir lus. Il ajouta qu’il les avait rédigés le matin même.

Voici, mot pour mot, ce qui était écrit :

Les écrivains sont, le plus souvent, visionnaires et prophétiques. Ce qu’ils imaginent est arrivé ou arrivera, aurait pu arriver… Ainsi Ray Bradbury et son «Fahrenheit 451». Pour que mon lecteur comprenne mon propos, il me faut résumer ce chef d’œuvre, ici, en quelques mots. Dans «Fahrenheit 451», l’aventure humaine se passe dans un futur, qui pourrait bien être notre présent – le livre est maintenant ancien, et on en a tiré des films à succès -; dans cet univers, les livres sont bannis, les écrans ont pris toute la place. Les valeurs qui étaient les nôtres sont inversées : les pompiers n’éteignent plus les incendies, – il y a longtemps qu’il n’y a plus d’incendie, tellement les normes de sécurité sont contraignantes - non, les pompiers n’ont plus de lance à eau, ils sont maintenant équipés de lance-flammes et rassurent la population en brûlant tout ce qui est nuisible, et en premier lieu, les livres (le papier prend feu lorsqu'il est exposé à une température de 451° Fahrenheit). Néanmoins quelques marginaux continuent à lire et cachent leurs précieux volumes. Mais bientôt, la police étant bien faite, ces irréductibles ne sont bientôt plus en mesure de cacher quoi que ce soit ; ils sont alors contraints d’apprendre par cœur le contenu des livres s’ils ne veulent pas que des pans entiers de la littérature soient consumés et réduits en fumée, perdus à jamais. Ainsi, dans les égouts ou dans ce qui reste de forêts on trouve de petites communautés d’hommes-livre. Chacun connaît, par cœur, un livre… et le transmet à un plus jeune… La littérature subsiste ainsi, cachée, au fond des sinuosités grises des cerveaux.

Eh bien, hier soir, j’ai rencontré un de ces hommes-livre.

Je l’ai rencontré dans la vraie vie. Il a un nom, une date de naissance, un blog, de la peau sur les os. Il est né quelque part du côté de Marseille ou du moins y a vécu. Il s’appelle Jean-Jacques… non ! Je me trompe, Jean-Jacques n’est pas son vrai nom. Son vrai nom est William. Un nom prédestiné… Cet homme connaît par cœur l’ouvrage le plus énorme, le plus étonnant qui soit de Jean-Jacques Rousseau : les Confessions ! Il connaît ce texte intégralement et le dit, le raconte à qui veut bien l’entendre. Il vous en coûtera une vingtaine d’euros. Pas plus.

Pas plus tard qu'hier soir, je l’ai entendu et rencontré.

Il arrive, ses cheveux grisonnants tombant sur ses épaules, un profil d’empereur romain ou de philosophe des lumières, des mains de musicien aux longs doigts fins et vigoureux. Et le voilà qui installe d’abord le silence nécessaire à l’écoute. Puis, d’une voix étonnamment claire et douce, il se met à parler, à parler. Il raconte ses souvenirs, il se confesse. Il dit les Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Avec gravité quand il le faut, avec humour souvent, avec désespérance, le nez sur ses chaussures quand il raconte l’histoire du ruban volé et de la pauvre Marion à la vie perdue par sa faute, en relevant les yeux lorsqu’il tente de se justifier et qu’il explique pourquoi il a écrit ce livre.

Je vous jure que je ne savais plus alors qui j’étais et vous comprenez peut-être maintenant la confusion que j’ai faite sur son nom. Devant moi se tenait Jean-Jacques Rousseau au soir de sa vie, se confessant à moi qui devenais ainsi son confident et trouvais incongrues mes chaussures de ville quand il m’aurait fallu des souliers à boucle. Nous étions en 1700 et quelques, et je frissonnai de joie d’entendre cette langue admirable, capable d’entrer dans la plus fine analyse qui soit des sentiments, que ceux-ci fussent nobles ou non, sincères ou hypocrites ; cette langue française du dix-huitième siècle maniée par Jean-Jacques Rousseau en personne !

Enfin, je ne savais plus qui me parlait. Etait-ce William della Rocca, l’homme-livre ou l’auteur de l’Emile et des Rêveries d’un promeneur solitaire ?

Quand il se tut, je revins à moi et au vingt-et-unième siècle. Mais il fallut qu’il se taise. Et nous pûmes ensuite bavarder. Il avait quitté sa chemise à jabot, ses bas et ses souliers à boucle ; il avait attaché ses cheveux en catogan et revêtu un simple jean. L’homme-livre était redevenu un homme comme vous et moi. Vous trouverez toutes les informations que vous souhaitez sur son blog «jeanjacquesetmoi.blogspot.com» !

Il aurait pu m’expliquer qu’un livre était comparable à une montagne.

Car le saviez-vous ? Un livre est une montagne. Mais ceci est une autre histoire, que j’écrirai peut-être un jour.»

Voilà ce que contenaient ces feuillets du philosophe pessimiste. Etonnant, non ?


Vous trouverez d'autres textes de Hervé de Tonquedec en cliquant sur le lien ci-dessous :

Mes oeuvres sur In Libro Veritas

mardi 7 octobre 2008

Résumé du quatrième épisode (1730 - 1731) + index des personnes citées & lexique


De retour à Annecy, Jean-Jacques constate que Mme de Warens a quitté la ville. Après un intervalle durant lequel se situe la fameuse "journée des cerises", avec deux jeunes filles de la ville, il escorte - en toute innocence - jusqu'à Fribourg l'ancienne femme de chambre de Maman, rendant au passage visite à son père à Nyon. Commence alors une errance de plusieurs mois durant lesquels il enseigne tant bien que mal la musique, à Lausanne puis à Neufchâtel, jusqu'à sa rencontre avec un prêtre orthodoxe itinérant qui quête en Europe pour le rétablissement du Saint-Sépulcre à Jérusalem. A Soleure, l'Ambassadeur de France recueille Jean-Jacques et l'envoie à Paris comme précepteur chez un colonel suisse. C'est un échec. Au retour, il reçoit à Lyon une lettre de Mme de Warens et de l'argent lui permettant de la rejoindre à Chambéry.
Jacques Voisine
Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau

Les représentations du quatrième épisode ont débuté le 2 octobre 2008


INDEX DES PERSONNES CITÉES DANS CET ÉPISODE

Esther Giraud (1702 – 1774), née à Genève, fille d’un réfugié français, elle avait abjuré le 11 janvier 1727. Madame de Warens lui servit de marraine et lui donna les prénoms de Françoise-Louise. Elle vécut à Annecy de sa profession de courte-pointière.

Marie-Anne de Graffenried ( … - 1748) entra en 1732 au second monastère de la Visitation et devint en 1738 pensionnaire au couvent des cisterciennes de Bonlieu, où elle mourut.

Claudine Galley (1710 – 1781) épousa en 1740 un sénateur de Savoie de trente ans plus âgé qu’elle. Devenue veuve en 1761, elle mourut sans enfant à Chambéry.

Jean-Baptiste Simon (ou Symond) (1692 - 1748) originaire de La Rochette, il avait été nommé juge-mage d’Annecy le 17 janvier 1730, moins de six mois avant de rencontrer Jean-Jacques. Il mourut le 23 juin 1748, et légua tous ses livres à la ville d’Annecy pour en faire une bibliothèque publique.

Perrotet aubergiste à Lausanne

François-Frédéric de Treytorrens (1687 – 1737) professeur en droit à Lausanne

Jacques Leuthold (1708 – 1768) symphoniste à Lausanne

R. P. Athanasius Paulus, l'Archimandrite, se disait être de l’ordre des Saints Pierre et Paul de Jérusalem.

Jean-Louis d’Usson, marquis de Bonac (1672 – 1738), fut ambassadeur de France auprès du Corps helvétique de 1727 à 1736. Sa femme, née Madeleine-Françoise de Gontaut-Biron, était beaucoup plus jeune que lui. Elle mourut en 1739, âgée de 46 ans seulement.

Laurent-Corentin de La Martinière secrétaire-interprète de l’ambassade à Soleure de 1700 à 1731. Il mourut six mois après le passage de Jean-Jacques.

David-François de Merveilleux ( … - 1748) officier en France, puis secrétaire-interprète du roi

Jean-François Gaudard (1649 - 1738) colonel des Gardes suisses, entré au service de la France dès 1674, converti au catholicisme.

Madame de Merveilleux est peut-être l’épouse de Charles-Frédéric de Merveilleux, colonel mort en 1749. A moins que Jean-Jacques ne se soit trompé et qu’il s’agisse de l’épouse du secrétaire-interprète, née Marthe Cottin, qui s’accorde mieux avec sa description.

Mademoiselle du Châtelet pensionnaire du couvent des Chazottes à Lyon, amie de Madame de Warens.

Monsieur Rolichon religieux de l’ordre de Saint-Antoine.

Don Antoine Petitti intendant général des finances de Savoie.


Lexique du quatrième épisode

Ce livre couvre la période de avril 1730 à octobre 1731

Et quand il fallut l’embrasser pour me tenir : l’entourer de ses bras.

nous ne déparlâmes pas un moment : cesser de parler. Ne se dit qu’avec la négative.

Nous dînâmes dans la cuisine de la grangère : celle qui tient une ferme, à condition de partager le produit avec le propriétaire. Mot employé dans le Dauphiné, en Savoie et en Suisse romande. L’expression française correspondant à granger est métayer.

Jamais souper des petites maisons de Paris n'approcha de ce repas : maisons discrètes, destinées aux rendez-vous galants.

Venture me dit qu’il avait parlé de moi à monsieur le Juge-mage : magistrat chargé, en première instance, de tous les procès civils et même de certaines causes criminelles.

M. le Juge-mage Simon n'avait assurément pas deux pieds de haut : soixante centimètres.

et voyant dans ce lit une cornette : ancienne coiffure de femme.

et voyant dans ce lit une cornette, une fontange : nœud de rubans que les femmes portaient sur leur coiffure, à la manière de Mlle de Fontange, maîtresse de Louis XIV.

Le paysan (…) lui chante pouilles : lui adresse des reproches mêlés d’injures.

Il s’était jeté dans la belle littérature : littérature d’agrément opposée aux travaux d’érudition, ou plutôt littérature mondaine, précieuse, par opposition à celle des philosophes et des moralistes.

elles l’avaient à leur suite comme un petit sapajou : petit singe de l’Amérique centrale et du sud à pelage court, à poil dressé autour de la face et à la longue queue. La métaphore désigne couramment un petit homme laid et ridicule.

Mademoiselle Giraud était contre-pointière : ouvrière réparant les meubles, piquant des étoffes ou confectionnant des tentures.

j'aimais mieux cet entrepôt-là que point : dépôt pour des marchandises en transit.

et prenait toujours grand soin (…) que nous couchassions dans la même chambre : identité qui se borne rarement là dans un voyage : identité de situation, fait d’être dans la même chambre, terme impropre pour promiscuité.

et sans pouvoir noter le moindre vaudeville : chanson qui court par la ville.

d’en tirer les parties : papier de musique sur lequel est écrite la partie séparée de chaque musicien.

Venture m'avait appris cet air avec la basse : avec son accompagnement simplifié.

de la vie on n'ouït un semblable charivari : bruit discordant accompagné de huées.

Mes bourreaux de symphonistes : qui jouent des instruments de musique ou qui composent des pièces qu’on joue dessus.

à percer le tympan d’un quinze-vingt : aveugle reçu dans l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris.

quel diable de sabbat : bruit d’enfer, chahut, tapage.

J'ai toujours trouvé dans le sexe une grande vertu consolatrice : le beau sexe, les femmes.

Je n’apportai pas de cette ville des souvenirs bien rappelants : qui rappelle, qui frappe la mémoire.

Il me conta qu’il était (…) Archimandrite de Jérusalem : nom du supérieur de quelque monastère.

pour le rétablissement du St. Sépulcre : église érigée par les Croisés au XIIème siècle à l’emplacement du Golgotha et du tombeau du Christ.

le Marquis de Bonac qui avait été ambassadeur à la Porte : ambassadeur auprès de l’empire ottoman, à Istambul.

Cette chambre a été occupée (…) par un homme célèbre, du même nom que vous : il s’agit du poète Jean-Baptiste Rousseau (1670 – 1741)

Car on avait arrangé que je commencerais par être cadet : jeune gentilhomme qui sert comme simple soldat pour apprendre le métier de la guerre.

je ne voyais plus que troupes, remparts, gabions : grands paniers qu’on remplit de terre, dans les sièges, pour couvrir les soldats contre les tirs.

Des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses : des raccommodeuses.

Je reçus de la part de monsieur l’Ambassadeur encore une petite remise : argent, valeurs.

mais cela n’était pas fort restaurant : qui restaure, qui répare les forces.

ces mots terribles de Commis et de Rats-de-cave : personne préposée à la perception des droits sur certaines marchandises. On leur donnait le surnom de Rats-de-cave parce qu’ils visitaient – et pillaient – les caves d’autrui.

il cachait son vin à cause des aides : impôts sur le vin et les boissons pour aider à soutenir les dépenses de l’Etat.

il cachait son pain à cause de la taille : impôt qui ne touchait que le peuple ; il était établi sur une estimation arbitraire des ressources de chaque contribuable et comme tel, très impopulaire.

la proie des barbares publicains : percepteurs (à Rome).

l’Astrée n’avait pas été oublié : roman pastoral d’Honoré d’Urfé, publié à partir de 1610.

Je demandais la route du Forez : ancien comté inclus à la couronne de France au XVIème siècle, actuellement inclus dans le département de la Loire.

En arrivant j’allai voir aux Chasottes mademoiselle du Châtelet : le couvent des Chazeaux (ou Chazottes) s’élevait sur les pentes de la colline de Fourvière. Mlle du Châtelet était l’une des pensionnaires.

je passe plus de temps à gratter qu'à noter : à effacer les fautes.

il aurait fallu deviner en effet pour rencontrer juste : avoir les talents d’un devin.

En un mot je n'étais plus dans l'empyrée : dans l’ancienne cosmogonie, la plus élevée des sphères célestes, séjour des dieux.

il avait ordonné un cadastre général de tout le pays, afin que rendant l'imposition réelle, on pût la répartir avec plus d'équité : mensuration des états pour assurer une répartition à la fois plus juste et plus rentable de l’impôt foncier. Les opérations de mesures sur le terrain étaient confiées à des géomètres, la transcription des résultats à des secrétaires.

Deux ou trois cents hommes, tant arpenteurs (…) qu'écrivains : chargés des écritures.

Le mal était que cet emploi n'était qu'à temps : temporaire.


dimanche 31 août 2008

Deuxième entretien avec William della Rocca


- Après quarante représentations, quelles observations pouvez-vous déjà tirer de cette entreprise hors norme d’adapter à la scène les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ?

La première est sans aucun doute que sa parole a un impact considérable sur celles et ceux qui sont venus l’entendre, et qui, le plus souvent, l’ont découverte grâce à ce spectacle, ce qui pour moi est déjà une raison d’être plus que satisfait de m’être engagé dans cette entreprise. Beaucoup sont sensibles à la grande beauté de la langue ainsi qu’à la finesse et à la profondeur de l’analyse. Certes, la sincérité de sa démarche laisse perplexes certains, mais la plupart sont touchés par cet homme auquel ils n’avaient jamais eu le courage de s’intéresser jusqu’alors, considérant comme rebutante la tonne de poussière qui, selon eux, recouvre son oeuvre, ou gardant un trop mauvais souvenir de la manière pas toujours passionnante dont elle leur a été présentée durant leurs études. A vrai dire, cela ne m’étonne guère car je considère, pour ma part, que ses écrits ne peuvent être réellement appréciés que lorsqu’on a déjà une certaine expérience de la vie, même si bien sûr il y a toujours des exceptions et que de jeunes gens peuvent être émus par Jean-Jacques Rousseau. Cela n’empêche qu’il semble qu’il y ait un réel problème quant à la manière dont depuis des années son oeuvre est transmise à la jeunesse.

- Comment se déroulent les représentations ?

Le nombre de spectateurs est habituellement limité à une vingtaine, ou davantage si le lieu le permet mais jamais plus de trente-cinq. Beaucoup de celles et ceux qui viennent m’écouter n’ont jamais assisté à un spectacle dans de telles conditions et beaucoup sont intimidés par ma présence, si proche, et par celles des autres spectateurs. Comme, de plus, je prends constamment le public à partie, que je m’adresse à lui tout au long du spectacle, que j’en fais mon partenaire en quelque sorte, j’ai souvent remarqué que cela peut troubler certaines personnes. Beaucoup n’osent pas réagir et rire par exemple, même si elles en ont envie, et je trouve cela un peu dommage.

- Pourquoi ?

Parce que l’énergie ne circule pas, et il me semble alors que le spectacle perd quelque chose d’essentiel. Un public attentif et réactif est une bénédiction dans des conditions comme celles-là car je suis tout de même seul face à lui pendant près de deux heures, je ne cesse de lui parler et de le prendre à témoin. Ses réactions ou son absence de réaction ont forcément un impact sur moi et donc sur le spectacle. Il est vrai que cette expérience est pour le moins paradoxale car il est tout de même rare au théâtre que le public soit plus intimidé que l’acteur. Je l’accepte, et si cela a pu me troubler un peu durant les premières représentations, j’arrive désormais à m’adapter à n’importe quelle situation et à n’importe quel public. Je n’ai pas croisé jusqu’à présent de personnes mécontentes d’être venues et c’est finalement tout ce qui compte.


mercredi 23 avril 2008

Projet d'affiche



JEAN-JACQUES
d’après Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau
adaptées et interprétées par William della Rocca

Une aventure théâtrale en douze épisodes
entreprise le 8 février 2007
et achevée le 28 juin 2012


L'astucieux montage ci-dessus est signé Natchah

mardi 22 avril 2008

Résumé du troisième épisode (1728 - 1730) + index des personnes citées & lexique

Sur un nouveau coup de tête, Jean-Jacques regagne Annecy - où sa bienfaitrice ne l'éconduit pas. La familiarité la plus douce s'établit alors entre Petit et Maman. Il faut trouver un état au jeune homme. Un séjour au séminaire lui apprendra vite qu'il n'est pas fait pour être prêtre. Mais il a du goût pour la musique, et s'attache au maître de musique de la cathédrale. L'accompagnant dans un voyage à Lyon, il abandonne en pleine rue le malheureux, victime d'une crise d'épilepsie. Ce sera son troisième aveu.
Jacques Voisine
Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau

Les représentations du troisième épisode ont débuté le 13 mars 2008


INDEX DES PERSONNES CITÉES DANS CET ÉPISODE

Jean-Claude Gaime (1692 – 1761), précepteur des enfants du comte de Mellarède, ministre de l’intérieur du roi de Sardaigne.

Ottavio Francesco Solaro, comte de Gouvon et marquis de Broglie (1648 - …), gentilhomme de la chambre du roi, ministre d’Etat, ancien ambassadeur en Suisse et en France, gouverneur du prince Amédée de Savoie-Carignan.

Maria Vassallo di Favria avait épousé Giuseppe Roberto, marquis de Breil, ambassadeur à Vienne depuis 1720 et fils aîné du Comte de Gouvon.

Carlo Vittorio di Govone, né d’un second mariage du comte de Gouvon, futur abbé de Santa Maria del Vezzolano, en 1743.

Carlo Giuseppe Solaro, comte de Favria, était le fils du marquis et de la marquise de Breil, petit-fils du comte de Gouvon.

Pauline Gabrielle de Breil (1712 - …), sœur du comte de Favria, elle épousera Cesare Alfieri di Sostegno.

François-Robert Mussard (1713 - 1777), peintre miniaturiste, établi à Paris dès 1735.

M. Bâcle, l’un des quatre fils du chirurgien Joseph Bâcle, probablement Etienne ou Pierre.

Anne-Marie Merceret (1710 – 1783), née à Salins. Sa mère était originaire de Fribourg, où la famille s’installera en 1730, et où elle mourut. Son père était organiste.

Claude Anet, né à Montreux en 1706, était le neveu du jardinier de M. de Warens ; on pense qu’il avait préparé sa fuite en même temps que sa maîtresse, et il se convertit le 26 mars 1726. Il était apprenti chez un menuisier de Chambéry établi à Annecy, chez qui il s’était engagé à loger, et il ne rentra donc chez Mme de Warens qu’en juin 1729.

Paul Bernard d’Eaubonne, né vers 1685, colonel des milices bernoises et châtelain de Morges.

Aimé Gros (1677 – 1742), natif de Gex. Le séminaire d’Annecy, fondé en 1633, était dirigé par les Frères de Saint-Lazare ou lazaristes.

Jean-Baptiste Gâtier (1703 – 1760), était originaire de Cluses, dans le Faucigny, terre du Duché de Savoie, et devint en 1750 curé de Saint-Pierre de Curtille.
Jean-Jacques a écrit : je fis des deux seuls Prêtres (M. Gaime & Gâtier) que j’eusse trouvés vraiment dignes d’attachement et d’estime l’original du Vicaire savoyard.

Jacques-Louis-Nicolas Le Maître, né en 1701 ou 02, maître de la musique du chapitre de la cathédrale Saint-Pierre de Genève résidant à Annecy.

Venture de Villeneuve

Louis-Emmanuel Reydellet (1692 – 1743), curé de Seyssel en 1712.


Lexique du Livre troisième

Ce livre couvre la période de décembre 1728 à avril 1730

Ce qu'elles voyaient n'était pas l'objet obscène, c'était l'objet ridicule : c'est à ses fesses que Jean-Jacques fait ici référence.

et ces idées tenaient mes sens dans une activité très incommode dont par bonheur elles ne m’apprenaient point à me délivrer : on croit très communément au XVIIIème siècle que la masturbation provoque de nombreuses maladies.

quoique sachant qu’elle n’était pas scrupuleuse : qu’elle n’était pas d’une grande exactitude en matière de morale.

Je les attisais par les plus extravagantes manœuvres : Jean-Jacques évoque ici son goût pour l’exhibitionnisme.

aux personnes du sexe : aux personnes qui appartiennent au sexe féminin.

de me délivrer bientôt et de leurs tricots et d’elles : diminutif de trique, bâton gros et court, ici, des manches à balais.

Il était jeune encore et peu répandu : il ne voyait pas beaucoup de monde.

il n’avait pas assez de crédit pour me placer : position sociale, ici, dans le sens de pouvoir.

mon génie ampoulé : forme d’esprit contraire au bon goût par exagération, manière de penser et de dire pleine d’emphase, ridicule pour traiter de choses communes.

il me mettait en chemin de devenir quelque chose : acquérir une position sociale.

des affaires virent à la traverse : firent obstacle.

Je ne m’oubliais point : je ne perdais point la conscience des différences des rangs et de mon devoir.

une petite fontaine de Héron : fontaine nommée d’après Héron d’Alexandrie, mathématicien grec du IIème siècle après J.-C. ; elle se compose de deux bassins et fait jaillir l’eau par compression.

La fontaine se cassa près de Bramant : Bramans, localité de Savoie, entre Lanslebourg et Modane.

Elle savait sur quel pied j’y étais : dans quelles conditions matérielles.

Sur la manière dont je devais correspondre : répondre par ses sentiments, par ses actions.

Mais on y trouvait la propreté : netteté, manière convenable dans les meubles.

Son domestique : terme désignant collectivement tous les serviteurs de la maison.

et voyant qu’ils anticipaient sur ses rentes : constituaient une dépense prise sur les recettes à venir.

Maman : le terme de « maman » semble avoir été en usage en Savoie à l’égard de la maîtresse de maison, mais le rapport est plus étroit pour Jean-Jacques qui parle d’elle comme de « la plus tendre des mères » et qui, devenu son amant, aura le sentiment de commettre un « inceste ».

Mes regards indiscrets n'allaient jamais furetant sous son mouchoir : pièce de linge qui cache la poitrine.

tandis qu’elle était à vêpres : heure de l’office, entre nones et complies, désignant l’office religieux du soir.

C’était un jeune abbé faucigneran : originaire du Faucigny, ancienne province des Etats sardes, qui constitue aujourd’hui une partie du département de la Haute-Savoie.

Il est singulier qu’avec assez de conception : faculté de comprendre les choses.

malgré tant de préjugés rebutants sur mon compte : le terme de « rebut » ou le verbe « rebuter », repousser avec rudesse, viennent fréquemment chez Jean-Jacques, comme illustration de la difficulté de ses relations en société. « Rebutant » a ici le sens de « capable de décourager ».

le bel et noble habit des chanoines : un habit bleu et rouge porté dans le chœur lors des offices.

les chasubles des prêtres : vêtement d’église en forme de manteau à deux pans que le prêtre revêt par-dessus l’aube et l’étole pour célébrer la messe.

les mitres … : haute coiffure triangulaire portée par les évêques, les abbés et anciennement par les chanoines.

… des chantres : qui est chargé de chanter lors de l’office.

le beau surplis fin : vêtement de lin, à manches larges, plissé, descendant à mi-jambes, porté à l’église par le prêtre ou un officiant.

pour un petit bout de récit : « nom générique de tout ce qui se chante à voix seule, ce mot s’applique même en ce sens aux instruments », Rousseau, Dictionnaire de musique.

forçait de vicarier pour passer son chemin : se disait des musiciens itinérants qui offraient leurs services dans les églises.

Il accueillit le jeune passager : qui ne s’arrête point dans un lieu.

de belles manchettes d’effilé : linge à franges, que l’on portait généralement en tenue de deuil.

qui n’allait pas gueusant : gueuser : faire son métier de demander l’aumône.

La haute-contre : la plus aiguë des voix d’homme.

on lui offrit sa partie à prévoir : étudier d’avance.

Cette gasconnade : vantardise ; les militaires gascons passaient pour hâbleurs.

Un bon préservatif contre cet excès : un bon moyen de se prémunir contre.

Seyssel : petite ville dans l’actuel département de l’Ain, à 35 km d’Annecy.

battre la campagne : dire beaucoup de choses inutiles.

Le maître de musique de Belley se fit honneur de ses meilleurs ouvrages : se faire honneur de quelque chose : s’en honorer, s’en parer. Le maître de musique de Belley fait jouer ses propres œuvres pour les soumettre à l’approbation de Le Maître.

Le Maître fut saisi d’une de ses atteintes : crise d’épilepsie.

J’écris absolument de mémoire, sans monuments : tout ce qui garde le souvenir, témoignages des actions passées.


Résumé du deuxième épisode (1728) + index des personnes citées & lexique

Un curé savoyard qui a recueilli le fugitif le recommande à Annecy à une nouvelle convertie, Mme de Warens. Celle-ci l’envoie à l’hospice des catéchumènes de Turin, d’où il sort catholique et essaie de trouver du travail. Ce séjour turinois, ponctué par d’innocentes amours, lui vaut d’être remarqué dans une maison noble, où il sert comme laquais, par des connaissances au-dessus de son état. Le vol d’un ruban, dont il accuse une servante, lui inspirera un durable remords ; c’est la seconde de ses confessions.
Jacques Voisine
Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau

Les représentations du deuxième épisode ont débuté le 4 octobre 2007


INDEX DES PERSONNES CITÉES DANS CET ÉPISODE

Benoît de Pontverre (1656 – 1733), d’une famille de Chambéry ; curé de Confignon de 1690 à 1732, auteur de nombreux libelles anti-protestants.

Françoise-Louise de La Tour de Pil ou de Peilz (1699 – 1762), née près de Vevey. Orpheline très jeune, elle reçut une excellente éducation et épousa à quatorze ans Sébastien-Isaac de Villardin, seigneur de Vuarens ou Warens ; à la suite d’entreprises peu heureuses, Mme de Warens quitta Vevey et son mari en 1726 pour la Savoie dans des conditions rocambolesques, et abujura le protestantisme. A Annecy, elle bénéficia d’une pension de 1 500 livres du roi Victor-Amédée et de l’évêque d’Annecy, et fut chargée d’accueillir les nouveaux convertis.

Monsieur et Madame Sabran

David Rival, horloger genevois, poète amateur apprécié de Voltaire.

Madame et monsieur Basile

Louise-Marie-Thérèse de Chabod Saint-Maurice (1669 – 1728), savoyarde, veuve depuis 1696 du comte Hippolyte de Vercellis. Elle habitait le Palais Cavour.

Giuseppe Ottavio della Rocca ou La Roque (+ 1773), futur gentilhomme de la Chambre du roi de Sardaigne ; il était le fils de Charles-Emmanuel Cacherano Osasco della Rocca qui avait épousé en 1687 la sœur cadette de la comtesse de Vercellis.

Les époux Lorenzini (et non pas Lorenzi) et Marie Pontal, leur nièce, domestiques de la comtesse de Vercellis.

Marion, cuisinière de la comtesse de Vercellis.


Lexique du Livre deuxième

Ce livre couvre la période de mars à novembre 1728

Confignon : village à six kilomètres au sud-ouest de Genève, appartenant alors au roi de Sardaigne. A l’époque, la Savoie n’était pas française.

l’hérésie de Genève : le calvinisme, considéré comme « hérésie », doctrine qui interprète mal les vérités établies par l’Église.

adorer les images : un des reproches que les protestants adressent aux catholiques, le respect que ceux-ci témoignent pour les représentations du Christ et de ses saints.

dire le rosaire : suite de prières adressées à la Vierge, constituée de quinze dizaines d’Ave Maria, chacune précédée d’un Pater.Les protestants critiquent le caractère mécanique de cette manière de prier.

une vieille dévote bien rechignée : de mauvaise humeur.

jeune prosélyte : se dit d’un nouveau converti, et en particulier à la foi catholique.

la médecine empirique : dans l’ancienne médecine, désigne un médecin qui ne suit pas la méthode ordinaire, c’est-à-dire hippocratique, et qui s’en tient à l’expérimentation des remèdes. Le terme a une connotation péjorative et est synonyme de charlatan.

magistères : (ou préparations magistrales) préparations pharmaceu-tiques d’origines minérales, auxquelles on attribuait des vertus particulières.

n’ayant jamais vu le monde : « le grand monde », la bonne société.

un gros manant : un rustre.

cathéchumènes : personne que l’on instruit pour la disposer au baptême.

mon petit viatique : provision ou argent que l’on donne à quelqu’un pour son voyage.

l’air grenadier : Un air et un maintien militaires.

Annibal : Célèbre général carthaginois (241-183 av. J.-C.) qui franchit les Alpes lors de la seconde guerre puniques contre les Romains.

Esclavons : habitants de l’actuelle Croatie, alors appelée Slavonie ou Esclavonie.

par une solennelle abjuration : fait de renoncer publiquement à une religion.

un petit magasin fort incommode : réserve d’arguments et de citations.

un cathéchisme plutôt qu’une controverse : le cathéchisme est un enseignement religieux et s’oppose à la controverse, débat sur des points de religion entre catholiques et protestants.

battait la campagne : se dit d’un discoureur qui dit beaucoup de choses inutiles et hors de son sujet.

baragouin franc : langage imparfait et corrompu. Se dit des langues étrangères que l’on n’entend pas. Il s’agit ici du sabir ou lingua franca, langue commune, faite d’italien et de français, en usage en Méditerranée.

je le crus atteint du haut-mal : crise d’épilepsie.

Can maledet ! brutta bestia ! : Maudit chien ! sale bête !

mercuriale : vive réprimande. Le terme vient de l’assemblée du Parlement qui se faisait le mercredi, mercurialis, et qui avait accoutumé de s’élever contre les abus de la justice ou de l’administration.

commettre l’honneur d’une maison sainte : au sens de « compromettre », exposer mal à propos.

l’Inquisition : Tribunal religieux statuant sur les questions de foi.

apostat : qui avait renié sa religion.

La femme d’un soldat qui retirait à un sou par nuit : donner asile, héberger.

un grabat : une couche.

Égisthe : ou Égiste, personnage de la tragédie grecque, amant de Clytemnestre et son complice dans le meurtre d’Agamemnon.

un jacobin : religieux de l’ordre des Dominicains.

l’aune de la boutique : bâton servant à mesurer les tissus. Cet instrument indiquerait que les Basile étaient marchands de tissus ou merciers.

sans se douter qu’il y eût à cela de la philosophie : Jean-Jacques donne au terme « philosophie » un sens péjoratif. A la fausse philosophie des « Lumières » et des salons français, il oppose une philosophie véritable qui ne se nomme pas, la constance de la Marquise de Vercellis, sa fermeté dans la souffrance.

je m’excusai sur le premier objet qui s’offrit : j’invoquai la première personne présente à mon esprit pour détourner sur elle l’accusation qui pesait sur moi.

la coulpe : du latin culpa, faute, dans l’acception religieuse du terme.